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cuillers, en huilait le pivot. Et quand l’instrument reluisait, il prenait plaisir à le manœuvrer, faisait mine de l’introduire, en des hiatus chimériques, avec délicatesse. Le recouvrant ensuite de son enveloppe de serge verte, il disait :

— C’est égal !… Je n’aime pas me servir de cela… J’ai toujours peur d’un accident !… C’est si fragile, ces sacrés organes !

— Sans doute ! répondait ma mère… Mais tu oublies que, dans ces cas-là, tu prends le double d’honoraires !…

Si ces choses m’instruisaient de ce que les enfants ignorent habituellement, elles ne m’amusaient pas. En mon existence chétive, rien ne m’était plus pénible que ces heures de repas, si lentes à s’écouler. J’aurais voulu m’échapper, gambader quelque part, dans l’escalier, dans le corridor, à la cuisine, près de la vieille Victoire qui, au risque d’encourir les reproches de ma mère, me laissait barboter dans ses chaudrons, jouer avec les robinets du fourneau, remonter le tourne-broche, et, parfois, me contait d’extraordinaires histoires de brigands qui me terrifiaient, délicieusement. Mais l’obéissance m’obligeait à me morfondre, sans bouger, sur ma chaise, dont le siège trop bas était exhaussé par deux in-folio, deux tomes dépareillés et très vieux de la Vie des Saints, et je ne devais quitter la table que lorsque ma mère donnait, en se levant, le signal du départ. L’été, je m’arrangeais pour ne pas trop souffrir de l’ennui. Le vol grenu des mouches, le ronflement des guêpes, au-dessus des as-