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prions pour vous, pour moi, pour tous les pécheurs… Allons, un petit pater

Faisant le signe de la croix, joignant ensuite les mains, ils marmottaient d’une voix plus basse, tous les deux :

Pater noster, qui es en cœlis

Rentré dans sa chambre, l’abbé ne tardait pas à se reprocher cette émotion ; il s’irritait de s’être laissé entraîner à un mouvement d’attendrissement, inexplicable et très ridicule… Heurtant les chaises, éparpillant avec colère les papiers, sur son bureau, il bougonnait :

— Suis-je fou !… Et qu’est-ce qui m’a pris de lui raconter toutes ces bêtises-là, au vieux ? Que m’importe qu’on l’aime, qu’on ne l’aime pas, qu’il pleure ou qu’il chante ?… Ses chagrins, je les connais ses chagrins… Ha ! ha ! ha !… C’est d’avoir chipé le testament !…

Il ne se calmait un peu que lorsqu’il avait fini de se persuader que tout ça « c’était de la plaisanterie », et il songeait alors à inventer de nouvelles farces.


Un soir, ayant été, toute la journée, plus agacé, plus nerveux que jamais, il sortit. Cela lui arrivait quelquefois, de faire de longues marches, après le dîner, seul. Il gagnait les hauteurs, où l’air est plus vif, et plus lointain l’horizon, s’enfonçait dans la campagne, rentrait tard, sa soutane crottée, les membres brisés de fatigues délicieuses… Et encore tout embaumé de nuit, il s’étendait sur son lit, à demi dés-