Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en réfléchissant bien, malgré lui-même, — ce qui lui parut inexplicable, mais surtout regrettable.

— Pour une fois, se répétait-il souvent, que j’ai fait acte de libre volonté, — je ne sais encore ni pourquoi ni comment — il faut avouer que j’ai été mal, très-mal inspiré… Décidément, je ne suis point né pour diriger quoi que ce soit, ni personne, ni moi-même… Hélas ! vit-on jamais homme plus malheureux ?

Dès le premier jour de son entrée en fonctions, l’abbé Jules avait tranché du maître. Choses, bêtes et gens, il bouleversa tout, bouscula tout. À peine si l’évêque, timidement, osa lui adresser une observation, et il s’en repentit vite : le regard de Jules l’avait glacé ; sa bouche, prête à toutes les imprécations, l’avait terrifié ; et il résolut de se laisser conduire désormais par un seul, aussi docilement que jadis par tout le monde ; à la longue, il en était arrivé à trouver sa situation meilleure ainsi, car il ne redoutait plus personne, sinon l’abbé, et il espérait que celui-ci consentirait à le défendre, en se défendant lui-même. Et puis, il comptait bénéficier de la crainte que le nouveau secrétaire inspirait à son entourage. Du reste, il eût préféré braver le diocèse, l’Église, Dieu, plutôt que de mécontenter Jules. Il lui parlait comme un petit enfant respectueux et fautif ; il semblait lui dire avec de désarmantes implorations dans les yeux : « Je ne puis t’empêcher de faire les choses qui me désolent, fais-les ; mais, du moins, épargne-moi, défends-moi, sois fort pour nous deux. » Tous les matins, il remet-