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poche ? se disaient entre eux les curés perplexes… Il a le dessus, l’effrontée canaille.

— Et l’évêque ! si vous croyez qu’il vaut plus cher de se laisser mener par un païen, un hérétique !

— Tout de même… il vaudrait mieux être de son bord, tout à fait… le grand vicaire, le curé de Mortagne, qu’est-ce que ça nous rapporte ?… et puis, il paraît qu’il les a cogés, ce mâtin-là…

— C’est vrai !… avec ces histoires, on n’a même plus le cœur de mettre son vin en bouteille.

Comme tous les craintifs qu’éblouit l’apparence de la force et qui, par l’attraction éternelle des contrastes, vont, fatalement, vers les caractères violents et les tempéraments hardis, le pauvre évêque s’était laissé séduire aux allures volontaires et conquérantes de Jules, sans y démêler ce qu’elles cachaient de cynique effronterie. Et, tout de suite, Jules l’avait dominé par la peur. Lorsqu’il comprit à quelles luttes inévitables, à quelles dangereuses responsabilités il serait entraîné par ce casse-cou, il était trop tard, déjà, pour réagir contre le premier mouvement irraisonné de cette sympathie. Jules le tenait dans son autorité, dans sa conscience, dans son esprit, dans son repos, et il ne devait point songer à s’échapper de ces rudes mains qui lui faisaient sentir, à chaque instant, la lourdeur de leur pesée. En se soumettant à cette tyrannie nouvelle, il ne lui resta plus qu’à s’étonner de la facilité avec laquelle il se l’était imposée, malgré le supérieur du séminaire, malgré le grand vicaire, et peut-être aussi,