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rêvé ; il reprenait la lettre, en étudiait chaque mot, et, à chaque mot, sa figure vénérable et candide s’empourprait de honte, et il s’écriait, en levant au ciel, ses petits bras courts :

— À mon âge !… à mon âge !… Oh ! oh ! oh !

Puis il faisait le signe de la croix, et d’une voix fervente, il ajoutait :

— Seigneur, mon Dieu ! je vous offre ce calice d’amertume, à vous qui savez combien mon âme est chaste !

Il ne pensa pas, un instant, à accuser l’abbé Jules. Au contraire. Dans la naïveté infinie de son cœur, il ne trouva rien de mieux que de lui écrire une longue lettre, absurde et touchante, où il le suppliait d’intercéder pour lui, auprès de Sa Grandeur. Naturellement, la lettre resta sans réponse.

La puissance de l’abbé s’affirma de jour en jour plus redoutée. Il eut bien à subir quelques tentatives de résistance ; des conciliabules secrets s’organisèrent contre lui, sous l’inspiration de l’archiprêtre de Montagne, gros homme voluptueux et rancunier, qui voyait avec rage son influence sur l’évêque lui échapper. On fit circuler des bruits fâcheux sur la moralité du secrétaire intime, on discuta son orthodoxie, on rappela son sermon de Viantais, les mots inconvenants dont il s’était servi, l’invocation à la Nature, qui était l’œuvre abominable d’un panthéiste, d’un païen, d’un sauvage, adorateur de légumes et de lapins blancs. À son tour, il fut espionné, environné d’embûches. Mais