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Le notaire avait fini la lecture. Hochant la tête, il retourna plusieurs fois la feuille de papier timbré, l’examina avec une attention contrite.

— C’est tout ! dit-il, en faisant de la main un geste évasif… C’est bien tout.

Et il se leva demandant :

— Désirez-vous que je vous en fasse faire une copie ?

Sur un signe affirmatif de mon père, le notaire entra dans l’étude avec le testament.

Ce fut de l’écrasement, de l’anéantissement. Le cousin Debray n’avait point bougé ; le regard fixé sur le parquet, il semblait un bloc de pierre, tant son immobilité était complète, tant la stupeur pesait lourdement sur son corps, le tassait en boule inerte. Pourtant, au bout de quelques minute, il se leva, à son tour, souffla très fort :

— Ah ! le nom de Dieu de saligaud ! cria-t-il d’une voix sourde.

Et, sans regarder personne, il partit poussant d’effroyables jurons.

Quant à mon père, certes, il avait toujours redouté quelque « farce » suprême de l’abbé, mais ce testament, il ne l’aurait jamais prévu ! Ce testament dépassait sa raison de bourgeois peureux de toute la terrible hauteur d’un sacrilège irréparable ; ce testament perpétuait jusque dans la mort cette vie d’impiété, d’ingratitude, de désordre et de mystification qui avait été celle de son frère ; ce testament était le dernier hoquet de cette âme impénitente, le dernier rictus de ce