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— Qu’on les fouette !… qu’on les déchire ! hurlait-il.

De ses doigts recourbés en forme de griffes, il déchirait le vide, s’imaginant qu’il déchirait de vivantes chairs de femme ; ses lèvres s’avançaient en monstrueux baisers, suçant le sang aux plaies ruisselantes et rouges. Et c’était horrible, en cette frénésie paroxyste d’une chair moribonde, de voir ces deux yeux vides, fixes, sans un reflet de lumière et de pensée, ces deux yeux déjà morts qui s’élargissaient dans le cercle des paupières raidies. Enfin il tomba durement sur le parquet, et ses mains, auteur de lui bondissantes et tâtonnantes, cherchèrent des proies d’amour.

Pétrifié d’abord par la terreur, je ne remuai pont. Les idées en déroute, les membres rompus, avec cette sensation que je venais de descendre subitement dans un coin de l’enfer, j’aurais voulu m’enfuir. Une pesanteur douloureuse me retenait là, devant ce damné, lamentable et hideux.

Cependant, lorsque je vis tomber mon oncle, je poussai un cri, appelai à l’aide le cousin Debray qui montait sa faction dans le couloir. L’abbé se laissa prendre sans résistance.

— C’est cela ! dit-il… Je vais dormir !…

Recouché, il eut de petits sanglots, de petites plaintes, au milieu desquels je distinguai l’air de la chanson qui revenait, dans son délire, comme une ironique et mélancolique obsession :


C’que j’ai sous mon jupon
Lari ron
C’que j’ai sous mon jupon.