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qu’elle soit heureuse… Mais tu ne l’auras point… Elle est là (il montrait sa gorge serrée par un étranglement) ; elle est là… Elle me fait mal, elle m’étouffe… Pourtant, je ne la cracherai pas… Va-t’en… va-t’en !…

Et comme mon père, se penchant au-dessus de lui, essayait de le calmer :

— Chasse-le donc ! ordonnait-il… maintenant il s’accroche à la corniche, ses ailes étendues, toutes noires… Ah ! le voilà qui vole… qui vole… le voilà qui bourdonne… le voilà !… tue-le… Ah ! tue-le donc !… Tiens… il se cache sous mon lit, il le soulève, il l’emporte… Ah ! tue-le donc !… tue l’infâme curé.

Dans un autre moment, il pleurait, et, tout épeuré il se blottissait sous les draps, en un coin du lit, comme un petit enfant.

Vers le matin, il s’apaisa. Aux agitations de la nuit succédèrent un morne abattement, une prostration lourde de son cerveau et de son corps. Pendant trois heures, il sommeilla, secoué de soubresauts nerveux, sa pauvre tête hantée de cauchemars effrayants qui lui arrachaient des cri d’épouvante. En se posant sur nous, dans les interruptions de l’assoupissement, ses prunelles avaient des profondeurs d’abîme, et cette inquiétante, effarante, accablante fixité du mystérieux regard des bêtes qui viennent de mourir. Elles ne reflétaient plus rien de vivant sur leur convexité vitreuse, plus rien de la vie ambiante, plus rien de la vie intérieure. Et les paupières agrandissaient démesurément, autour de ces prunelles mortes, vides de lumière, leur