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siettes, et traçant dans l’air, avec sa canne, de fantastiques moulinets, il concluait gaillardement :

— Et tuis… ça n’emtêche toint qu’on s’amuse, mâtin !… Il faut dien que jeunesse se tasse…

Il appelait cela m’apprendre la vie, et me préparer aux luttes de l’avenir.

Un corps sec, anguleux, très long, un visage rouge où l’épiderme, par endroits, s’exfoliait, un nez en l’air, court, aux narines écartées ; les cheveux d’un blond verdâtre, plaqués en bandeaux minces sur les tempes meurtries, telle était Mme Eustoquie Robin, qui « connaissait toutes choses ». Il était impossible de voir une femme plus disgracieuse. Sa laideur naturelle se compliquait de toutes les manies ridicules dont on eût dit qu’elle prenait plaisir à la souligner. Elle avait, en parlant, une façon aigre et sifflante de détacher chaque syllabe, entre deux aspirations, qui agaçait les nerfs autant que le frottement d’un doigt sur du verre mouillé. Et c’étaient, à chaque mot, des sourires pincés, des trémoussements, des révérences, toute une série de gesticulations gauches et de poses prétentieuses, qui donnaient à son corps l’aspect d’un mannequin désajusté. Obsédée du désir qu’on s’occupât d’elle sans cesse, sans cesse elle se plaignait d’une indisposition à la tête, au ventre, à la poitrine, soupirait, soufflait, et demandait finalement la permission de délacer son corset.

— Ouf ! faisait-elle… Ce n’est pas qu’il me serre trop… Au contraire… Mais tous les soirs, à cette