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Il s’arrêta encore, la gorge étranglée, suffoquant… Sur son visage des gouttes de sueur roulaient… Ouvrant la bouche toute grande, il but l’air frais du jardin, en une longue, douloureuse aspiration.

— Qui te font peur !… reprit-il… C’est évident… Les pères et les mères sont de grands coupables, mets-toi bien cela dans la tête, mon garçon… Au lieu de cacher à l’enfant ce que c’est que l’amour, au lieu de lui fausser l’esprit, de lui troubler le cœur, en le lui montrant comme un mystère redoutable ou comme un ignoble péché, s’ils avaient l’intelligence de le lui expliquer carrément, de le lui apprendre, comme on lui apprend à marcher, à manger ; s’ils lui en assuraient le libre exercice, à l’époque des pubertés décisives… Eh bien ! le monde ne serait pas ce qu’il est… Et les jeunes gens n’arriveraient pas à la femme, l’imagination déjà pourrie, après avoir épuisé, dans le rêve dégradant, toutes les curiosités abominables… Et toi-même ?… Je parie…

Mon oncle me regarda fixement ; et, sous ce regard, je me sentis rougir, sans que j’eusse pu dire pourquoi…

— Je parie, continua-t-il, que tu as rêvé, à des choses… à des choses… Réponds !

— Mais non, mon oncle, balbutiai-je, en rougissant davantage.

— Allons, ne mens pas !… Réponds…

Je ne répondis pas.

— Pourquoi rougis-tu ?… Tu vois bien, petite canaille !