Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de l’enchaîner… Alors les poètes n’ont chanté que l’amour, les arts n’ont exalté que l’amour… Et l’amour a dominé la vie, comme le fouet domine le dos de l’esclave qu’il déchire, comme le couteau du meurtre, la poitrine qu’il troue !… Du reste, Dieu !… Dieu, ce n’est qu’une forme de la débauche d’amour !… C’est la suprême jouissance inexorable, vers laquelle nous tendons tous nos désirs surmenés, et que nous n’atteignons jamais… Autrefois, j’ai cru à l’amour, j’ai cru à Dieu !… J’y crois encore souvent, car de ce poison on ne guérit pas complètement… Dans les églises, au jour des fêtes solennelles, étourdi par le chant des orgues, énervé par les griseries de l’encens, vaincu par la poésie merveilleuse des psaumes, je sens mon âme qui s’exalte… Elle frémit, remuée en tous ses vagues enthousiasmes, en toutes ses aspirations informulées, comme ma chair frémit, secouée en toutes ses moelles devant une femme nue, ou seulement devant son image rêvée… As-tu compris ?

— Non, mon oncle ! répondis-je timidement.

Il parut étonné, haussa les épaules.

— Alors, qu’est-ce que tu comprends ?… fit-il.

— C’est vrai, aussi, hasardai-je… vous me dites toujours, mon oncle, des choses qui me font peur !

L’abbé s’exclama :

— Qui te font peur !… Qui te font peur !… Parce que tu es un imbécile… parce que tes parents, qui sont des imbéciles, t’ont donné une éducation déplorable !…