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sent échapper une plainte, puis une autre, puis une autre encore. Peu à peu les muscles de la face, raidis, se détendent ; sa mâchoire oscille et craque, sa poitrine se gonfle, respire, ses yeux s’entr’ouvrent ; et de la bouche qui cherche, toute grande, à se remplir de vie, sortent un long soupir, un long gémissement.

— Mon oncle !… mon oncle !…

Ce n’est plus le cri de détresse ; c’est le cri de joie… Il est vivant !

Mon oncle a posé ses yeux sur moi, des yeux dont le regard semble revenir de l’abîme, de l’enfer. Il ne sait pas encore où il est… il ne sait pas encore qui je suis… Et ce regard se ranime, s’étonne… Sans cesse il va de moi à la petite table, où le livre est resté… il cherche, il interroge, il s’humilie, il implore. En une minute, il traduit toutes les sensations que lui apportent la pensée revenue, la mémoire retrouvée.

— Albert ! c’est toi !

— Oui, mon oncle… C’est moi…

Et avec une expression douloureuse, avec une pitié d’une infinie tristesse, que jamais je ne pourrai oublier, mon oncle balbutie :

— Pauvre petit !… Va-t’en, petit… Pauvre petit !…

— Non, mon oncle, vous êtes malade… je vous soignerai.

— Va-t’en… mon pauvre enfant !… C’est passé… Va-t’en… Je le veux !


Le lendemain, je trouvai mon oncle, dans la cour,