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me donner une leçon ; je prévois un cours de morale anarchique sur Dieu, sur la vertu, sur la justice.

— Aide-moi !

Son regard m’effraie. Je ne sais pourquoi, je pense que les assassins doivent regarder ainsi quand ils tuent.

— Aide-moi donc !

Il s’empare de ma main, s’appuie sur mon épaule, et péniblement se relève. Au haut d’un poirier voisin, un bouvreuil s’égosille.

— Quel âge as-tu ? me demande mon oncle.

— Treize ans !

— Treize ans !… c’est bien… Allons !

Sans dire un mot, nous nous dirigeons vers la bibliothèque. Je m’installe à ma place ordinaire, devant la petite table, où j’ai lu toute la philosophie, à treize ans ! Avec des gestes précipités, impatients, mon oncle furette derrière une rangée de grands livres. Il cherche peut-être un philosophe que je ne connais pas encore. Et j’éprouve, à être là, une peur vague. Le dos de mon oncle a je ne sais quoi d’inaccoutumé qui m’impressionne ; ses mains véritablement m’inquiètent ; elles viennent, disparaissent, reviennent, poussées par des hâtes mauvaises. Enfin, il a trouvé. C’est un volume, plus petit que les autres, dont la couverture est rouge, sale, déchirée, dont les feuilles décousues ne tiennent plus. On voit qu’il a beaucoup servi… Mon oncle tourne les pages vite, vite, s’arrêtant une seconde, puis se remettant à les tourner, plus vite, plus vite…