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fanterie, original fieffé, qui passait son temps, mangeait l’argent de sa retraite à empailler des belettes et des putois dans des attitudes comiques et prétentieuses, mais on lui faisait mauvais accueil, parce qu’il ne pouvait prononcer deux mots sans jurer, et qu’il « sentait la bête morte », disait ma mère. Les Robin, dès leur arrivée — ils n’habitaient le pays que depuis quatre ans — s’étaient étroitement liés avec nous. À la première entrevue, nous nous étions reconnus pour des êtres de même race. Comme il n’existait, entre les Robin et ma famille, aucune rivalité d’intérêt ou d’ambition, qu’ils avaient les mêmes instincts, les mêmes goûts, une compréhension pareille de la vie, l’amitié s’établit durable ; amitié d’ailleurs restreinte à la facile observance d’un égoïsme cordial, qui n’eût point résisté aux plus légères secousses du sacrifice et du dévouement.

M. Robin, ancien avoué de Bayeux, avait été, sa charge vendue, nommé juge de paix, à Viantais, grâce à la protection d’un sénateur, dont il parlait sans cesse et à propos de tout, avec enthousiasme. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, vaniteux, solennel et stupide, irréparablement. Au physique, il ressemblait à un singe, à cause de sa lèvre supérieure, un large morceau de peau, bombante et mal rasée, qui mettait une distance anormale entre le nez aplati et la bouche fendue jusqu’aux oreilles. Pour le reste, petit, gras, la face jaune, dans un collier de barbe grisonnante, le ventre rond, les mains poilues. Par une