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— Et puis nous sommes là à compter !… Heu !… heu !… À quoi cela nous sert-il ?…

Ma mère secoua plus fort son trousseau de clefs, et haussa les épaules :

— Un homme qui vit en concubinage !… qui n’a pas d’enfants !… C’est honteux !…

— Eh bien ! oui, conclut mon père… Voilà la justice de ce monde !… qu’est-ce que tu veux ?

L’heure de me coucher était depuis longtemps passée. Tout à leurs réflexions, mes parents m’oubliaient, ne me voyaient pas. Je n’avais garde, d’ailleurs, d’appeler l’attention sur moi, et je me faisais tout petit, au fond de ma chaise, dans le coin d’ombre où j’avais eu la prudence de me cacher. J’étais prodigieusement intéressé, non par les calculs de la fortune de l’abbé, qui eussent suffi à m’endormir, mais par ce qui se disait du cousin Debray ; j’attendais des révélations sur sa vie, sur « la poule », surtout, dont il avait été beaucoup question ces jours-là ; car, sous l’empire de ces événements, mes parents se relâchaient, devant moi, dans la tenue de leur langage et l’austérité de leurs observations ; je rapprochais « la poule » et le cousin, de M. et Mme Robin. Depuis les confidences de Georges, un monde nouveau m’apparaissait encore indécis ; j’éprouvais, en tout mon être, des sensations inconnues, vertigineuses, qui me donnaient l’effroi et l’attraction des choses défendues, d’un mal abominable et charmant, que je lisais maintenant, sans le déchiffrer, eux yeux des femmes. Tout cela était brouillé,