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ries qui ressemblaient à des lacs bizarres, où des carrés de saules défeuillés, des rangées de peupliers émergeaient, végétation lacustre, que l’eau reflétait, immobile et dormante. Parallèlement à la vallée, et l’enserrant comme les clôtures d’un cirque immense, les coteaux montent, avec des villages sur leur flanc ; et, parfois, entre la ligne des contours rabaissés, s’aperçoivent de très lointains horizons, tout un infini de pays, aussi léger que des nuées. Et sur tout cela, l’exquise lumière hivernale qui poudre les arbres de laque agonisée, tous les tons fins, tous les gris vaporisés qui donnent aux masses opaques des fluidités d’onde et des transparences de ciel.

L’abbé paraissait absorbé par la contemplation des choses, et l’expression de sa physionomie s’adoucissait ; un peu de cette lumière apaisante avait passé dans ses yeux. Mon père en profita pour lui taper amicalement sur les genoux.

— Dis donc !… fit-il, en surmontant enfin la peine que l’accueil de Jules lui causait… Ça fait joliment plaisir de se revoir… Depuis le temps !… Voilà plus de six ans, sapristi !… Je me disais quelquefois : « Bah ! nous ne le reverrons plus ! » Ah ! nous avons pensé à toi, va, mon pauvre Jules !…

Il n’entendait pas, et continuait de regarder, devant lui… Tout à coup, il s’écria :

— Mais c’est un très beau pays !…

Mon oncle avait dit cela, d’une voix moins rêche, presque émue.