Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Marie, à l’accueil flatteur qu’il recevait dans le monde ; il se rappelait la foule charmée, domptée par sa parole… puis une question se dressait, grosse de perplexités : « Non… pas à Viantais !… Mais où ?… Nulle part, je n’ai d’amis ! » À se savoir si seul, son cœur s’enflait, trop plein de tristesses… Et il revenait au grand vicaire ; il l’injuriait : « Canaille ! ah ! la sale canaille ! »… Brusquement avec un soupir : « Ce pauvre bougre d’évêque !… eh bien ! il va être heureux, avec une sale canaille comme ça ». Presque content : « Est-ce curieux que je ne puisse rien dire, ni rien faire, sans qu’une catastrophe ne s’ensuive… C’est vrai pourtant… je souffle dans un chalumeau, et c’est les trompettes de Jéricho qui résonnent !… Je n’ai qu’à cracher dans cette rivière, et je suis sûr qu’elle va déborder ! »

De l’endroit où il était placé, par une échappée entre les peupliers de la vallée, il aperçut un coin de la ville, des maisons grimpant les unes sur les autres, un fouillis d’ombres bleues et de taches claires, barré de fumées rousses, enveloppé de la brume légère du soir qui commençait. Il chercha des yeux le palais épiscopal, la terrasse où il ne rôderait plus, aux heures du crépuscule. Un énorme bouquet d’aulnes les masquait. Mais la tour de la cathédrale dominait la ville, plantait dans le ciel, couleur de pâle violette, sa masse carrée et toute sombre. Cette vision du pays qu’il allait quitter, chassé comme un mauvais serviteur, l’attendrit et le révolta, tout ensemble. Moitié pleurant, moitié bougonnant, il abandonna son saule.