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les rues. Attendant impatiemment la tombée de la nuit, il rôda dans les chemins d’alentour, descendit jusqu’à la rivière, et, tout vague, un peu hébété, il resta longtemps sous un saule, à regarder tourner la roue d’un moulin à tan. La faim, les incertitudes, l’angoisse d’un avenir très sombre, avaient ramené son esprit vers des spéculations moins philosophiques, et plus terre à terre. D’abord, il remit au lendemain le départ qu’il avait, avec trop de précipitation, fixé au soir même. Quoi qu’il pût advenir de lui plus tard, il ne pouvait quitter l’évêché, sans prendre congé de l’évêque, sans manifester un regret, un repentir… Mais où irait-il ? En admettant que sa faute pût s’oublier quelque jour, il prévoyait de longs mois, des années peut-être, à passer, en état de pénitence, éloigné de toute fonction. De plus, il était bien décidé à refuser un exil possible dans la vicairie d’un petit village. Et ce mot de vicairie, lui rappelant le grand vicaire, il sentit la haine lui mordre le cœur.

— C’est à cette canaille-là que je dois tout ce qui m’arrive ! se dit-il… Il m’a agacé… et alors, je me suis encore emballé !… canaille !… canaille !…

En ce moment, il n’en voulait plus à la société, à la religion, à l’idéal, ni à personne ; il n’en voulait qu’au grand vicaire, cause de son malheur. Et il rêva de vengeances terribles, raffinées.

Les impressions les plus différentes naissaient, se succédaient, allaient d’un pôle de sa sensibilité à l’autre, se heurtant. Il pensait à ses sermons du mois