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— Et pour le pays ! Et pour tout, pour tout… bien triste, pour tout !

Et le curé humait sa prise en reniflant fortement.

Je me souvenais aussi des histoires de jeunesse de l’abbé que, dans ses jours de bonne humeur, mon père m’avait dites, moitié scandalisé, moitié réjoui. Il les commençait sur un ton sévère, promettait d’en tirer des morales bien senties, puis il se laissait gagner, peu à peu, par la gaîté sinistre de ces farces, et il achevait son récit, dans une quinte de rires, en se tapant la cuisse. Une, entre autres, avait produit sur moi une vive impression. Quelquefois, lorsque je voyais le visage de mon père se dérider un peu, je demandais :

— Petit père, raconte mon oncle Jules et ma tante Athalie.

— As-tu été bien sage, au moins ? As-tu bien appris tes leçons ?

— Oui, oui, petit père. Oh ! t’en prie, raconte.

Et mon père contait :

— Toute petite, ta pauvre tante Athalie, que nous avons perdue, hélas ! était très gourmande ; si gourmande qu’on ne pouvait laisser, à portée de sa main, aucune friandise, qu’elle ne la dévorât. À l’office, elle chipait les restes des fricots ; dans les placards, elle découvrait les pots de confitures, et sauçait ses doigts dedans ; au jardin, elle mordait à même les pommes sur les espaliers, et le jardinier se désespérait, pensant que c’étaient les loirs et les autres bêtes malfaisantes qui causaient ces ravages. Il multipliait les pièges,