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force invincible l’entraînait, qui lui donnait le vertige de l’abîme. Et il comprenait qu’un jour, il s’y laisserait glisser d’un coup, comme ça, pour rien…

Depuis qu’il était en contacts plus fréquents avec les femmes, son esprit redevenait l’esclave de la chair. Il échappa, d’abord, aux tentations par le travail obstiné, par un âpre surmenage du cerveau. Mais le travail bientôt ne suffit plus. L’immobilité pesante le condamnait à la défaite. L’amour ne se présentait à lui que sous la forme d’une débauche compliquée et pénible. Des images impures, impossibles à chasser, dansaient devant ses yeux, l’arrachaient au livre, à la pensée, pour le plonger dans une suite de rêves obscènes où il trouvait d’involontaires assouvissements, et d’où il sortait, hébété, le cœur plein de dégoût. La prière, non plus, ne le calma point ; agenouillé aux pieds du crucifix, il voyait, peu à peu, comme en un tableau célèbre, le corps du Christ osciller sur ses clous sanglants, quitter la croix, se pencher, tomber dans le vide, et à la place du Dieu disparu, la Femme triomphante et toute nue, la prostituée éternelle qui offrait sa bouche, son sexe, tendait tout son corps aux baisers infâmes. Alors, pour étouffer le monstre, il reprit ses courses furieuses à travers la campagne ; il tenta de dompter, à force de fatigues physiques, la révolte charnelle de ses sens déchaînés.

Toutes ces luttes intérieures, tous ces drames d’une âme en détresse, Jules, avec une volonté qui ne manquait pas d’héroïsme, les comprima silencieusement