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le harcelaient sans cesse, le poussaient à de vagues rechutes, et il était obligé de se livrer, contre eux, à de rudes combats. Pourtant quelque chose le soutenait qui lui avait fait défaut jusqu’ici : un intérêt, une ambition. Que de temps gaspillé à de criminelles et inutiles fantaisies, que de forces perdues dans de stériles caprices, où il s’étonnait que n’eût point sombré tout son avenir ! Maintenant, il entrevoyait une vie nouvelle qui pouvait être brillante et féconde. Au lieu de traîner éternellement des soutanes graisseuses dans les petits métiers de la basse cléricature, il lui était permis encore d’élever ses rêves plus haut. Il se savait éloquent, et d’une éloquence qui plaisait, car elle allait plus à la sensibilité qu’au raisonnement ; il savait aussi que, malgré sa disgrâce physique qu’on oubliait devant le charme réel et très vif de ses agréments intellectuels, il ne lui était pas interdit d’espérer des succès dans le monde et d’intéresser les femmes à son ambition. De tout cela, il avait eu la perception très nette, le jour où ses prédications lui avaient valu des sympathies non équivoques, et changé brusquement son méprisable état de paria en une condition enviée de prêtre à la mode. Mais sa nature l’effrayait ; il sentait gronder et bouillonner, au fond d’elle, des laves terribles, et il en redoutait l’explosion fatale et prochaine. Il subissait tellement l’attraction du mal que, souvent, à la minute où il raisonnait, avec le plus de clairvoyance, sur la folie des inconséquences de son passé, il avait envie de s’y abandonner. Une