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sentait des scènes atroces de martyre, des cirques rouges, des bûchers… Pas une minute, il ne pouvait chasser ces suppliciantes images, goûter un peu de calme repos. Il eût souhaité être malade, mourir. Comme il avait abandonné le reste, il finit par abandonner l’Empereur.

— Eh bien, soit !… Mais, je vous en prie, ne prononçons pas son nom, n’écrivons pas : l’Empereur, ni l’Empire, ni rien de semblable… Mettons le potentat… non !… le tyran !… non, non !… Mettons onOn, cela dit tout, et cela ménage tout, aussi ! Cela peut s’appliquer à n’importe qui !… Et, cependant, personne ne s’y méprendra !… mon Dieu !… mon Dieu !… que va-t-il nous arriver ?… Et le préfet !… Et le ministre !… Et le Conseil d’État !… quel scandale !… nous nous ferons interdire, monsieur l’abbé… nous nous ferons condamner à des peines honteuses.

Jules, gravement, répondait :

— Jésus a été crucifié, Monseigneur… s’est-il plaint ?

Enfin, le mandement, un beau dimanche, éclata, comme une bombe, dans les paroisses. Quelques curés, mieux avisés que les autres, se refusèrent à en donner lecture.

Ce fut de la stupéfaction, de la consternation, de l’indignation… On crut que l’évêque était devenu fou. Il y avait en cet étrange document de littérature ecclésiastique, rédigé, tout entier, de la main de Jules par phrases brèves, rapides, sifflantes, un accent de pamphlétaire si âpre, des attaques si directes contre les