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À un kilomètre de là, sur la route, était un calvaire. Il s’agenouilla, pria avec ferveur. Puis, il continua son chemin, les yeux levés au ciel, des yeux ivres qui semblaient poursuivre, parmi les nuées, une souriante et radieuse image ; et d’une voix raffermie par la foi :

— Je la bâtirai ! dit-il.

À la suite de ses tournées, il rentrait au couvent, où il avait toujours à constater de nouveaux dégâts. Pendant son absence, un toit s’était encore affaissé ; des lézardes fraîches dessinaient sur les grosses maçonneries, des figures d’arbres bizarres ; les lambourdes des planchers fléchissaient. Et les ronces, et les orties et les chiendents, à l’étroit dans les cours, gagnaient les ouvertures, bouchaient les portes d’un hérissement de hallier. Le vent qui charrie les semences égarées, fécondait les pierres ; toute une végétation arborescente issait des murs, s’échevelait en touffes folles, élargissant les crevasses qui craquaient sous la poussée impétueuse de la sève. Chassé de pièce en pièce, de bâtiment en bâtiment, par la menace d’un plafond crevé, ou d’une cloison prête à s’ébouler sur lui, le Père Pamphile s’était réfugié au premier étage d’un petit pavillon, auquel il ne pouvait atteindre qu’au moyen d’une échelle, car le rez-de-chaussée qui servait de hangar manquait d’escalier. Il avait transporté là sa couchette en planches, sa table, sa chaise, son crucifix et le portrait de saint Jean de Matha ; c’est là qu’il continuait de manger sa bolée de soupe, une ignoble et puante lavure de créton, dont les chiens