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de Culoiseau, célèbres par leurs fabuleuses carpes, et leurs grands moulins qui broyaient le blé récolté à plus de dix lieues à la ronde. Aussi, des humbles constructions primitives, agrandies, remplacées, monumentalisées de siècle en siècle, il ne restait déjà, à cette époque, d’autres vestiges qu’une petite fontaine, aux sculptures naïves, aujourd’hui à moitié effacées par le temps, à demi rongées par les mousses, et au bord de laquelle la légende veut que soit apparu à Jean de Matha, le cerf sacré, portant entre ses cornes d’or la croix rouge et bleue, signe distinctif de l’Ordre. La Révolution vint, qui chassa les moines du Réno, s’appropria leurs biens, démolit l’abbaye, commit le crime abominable de jeter bas la chapelle, un des plus purs, un des plus exquis chefs-d’œuvre de la Renaissance, dont il ne subsista que quelques piliers et quelques pans de murs, marquant funèbrement, de distance en distance, l’emplacement où elle fut élevée. Les religieux laissèrent souffler sur la France la tempête révolutionnaire et impériale, et ils ne rentrèrent qu’en 1817, dans leur couvent du Réno devenu un prodigieux entassement de décombres, et réduit au modeste pourpris de la création. Ils commencèrent par déblayer les ruines et réparer tant bien que mal les bâtiments les moins endommagés. Et cela fait, ils ne surent plus que faire. La Rédemption, au moins dans l’esprit de l’œuvre, avait perdu sa raison d’être. Il ne s’agissait plus, en effet, de reprendre les chrétiens aux corsaires barbaresques ; il fallait trouver autre chose. Dépouillés de leurs terres, ils ne pouvaient