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puissant et riche, venant s’ajouter aux énervements de l’attente, j’essayais de me consoler en me rappelant de vilaines aventures dont le Derbois avait été le héros, jadis ; de louches actions, qu’il me serait doux de lui reprocher, un jour, dans des circonstances que je ne définissais pas nettement, mais que j’imaginais, à l’avance, émouvantes et dramatiques. Ai-je besoin de dire que j’étais là pour lui emprunter de l’argent ? Et la crainte de ne pas plus y réussir cette fois que les fois précédentes, — car je passais une partie de mon temps à l’accabler de sollicitations de toute sorte — me jetait contre lui dans une irritation, dans une malveillance extrême. Avant d’essuyer son refus, je méditais déjà de cruelles et raffinées vengeances. Combien plus raffinées et plus cruelles, s’il m’eût donné quoi que ce soit !

C’est sous l’influence de cette particulière disposition morale, que je me pris subitement à examiner ma voisine, la femme qui venait d’entrer et qui continuait de regarder la carte géographique, où des petits paquebots fuyaient, parmi le vert d’eau des océans, sur l’arc aminci des lignes grises.