Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même temps qu’il maugréait contre la bonne, il me dévisageait avec mépris. Tout à coup, il aperçoit, contre la chaise, les esquisses, les grands sabrages de vermillon, les tourbillonnantes virgules de jaune. Et ce fut comme s’il venait de recevoir un coup de pied au derrière. Dans une série de mouvements rapides, expressifs et simultanés, voilà que le malheureux bourgeois qui se remonte les épaules en avant, se renverse l’échine en arrière, rentre les fesses, qu’il empoigne à deux mains, se tord la bouche, se convulse les yeux, dans la plus horrible grimace que puisse inventer un singe. Puis, comme la bonne lui apportait, en cette pathétique seconde, son vermouth, il l’avale d’un trait, et de travers, s’enroue, s’ébroue, éternue, et s’enfuit, les fesses serrées, de nouveau protégées contre les bottes idéales, par la double cuirasse de ses mains. Pendant quelques minutes, j’ai tiré vanité de la foudroyante sincérité de ce mouvement évidemment réflexe et pourtant puissamment critique. Mais plus tard, seul, dans ma chambre, en face de ces toiles, je me suis dit que ce bourgeois, après tout, avait raison, et que cette peinture était ignoble.

Je me sens, cher petit, de plus en plus dégoûté de moi-même. À mesure que je pénètre plus profond dans la nature, dans l’inexprimable et surnaturel mystère qu’est la nature, j’éprouve combien je suis faible et impuissant devant de telles beautés. La nature, on peut encore la concevoir vaguement, avec son