Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XX

Au milieu de ces préoccupations nouvelles, je reçus, de Lucien, la lettre suivante :

Écluses de Porte-Joie.

Dès que tu auras lu cette lettre, cher petit, fais un paquet de tout ce qui me reste, à l’atelier, de tubes et de toiles blanches. Tu me l’adresseras au café de la Marine, Écluses de Porte-Joie. Un joli nom, hein ? et qui rassure ! Un pays admirable où l’on doit être heureux, si le nom ne ment pas, comme l’enthousiasme. Porte-Joie ! C’est là que je suis, pour l’instant ; là que je vais demeurer un mois encore, peut-être plus longtemps, peut-être toujours, car il m’a poussé, dans la tête, des projets considérables, et je suis dans l’attente de vertigineux événements qui te confondront, s’ils arrivent. Je ne puis t’en dire davantage, aujourd’hui. Contente-toi de rêver sur ce que je ne te dis point. Ne va pas t’imaginer surtout qu’il y a une femme dans cette aventure. Tu connais mes idées à ce propos. Les femmes, ah ! non !… C’est trop inesthétique !

Tu trouveras, épinglés à cette lettre, deux billets de cent francs. Avec cet argent, tu paieras mon terme, le mois de la concierge, et le marchand de couleurs, qui te présentera sa note, vers le 15. Elle est de quatre-vingt-trois francs. Tu feras le garçon avec le reste. J’ai calculé qu’il te restera soixante-dix centimes… Ohé !… Ohé !…

Voilà pour les affaires sérieuses.