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allongea ses mains sur sa robe et se tut, tout à coup :

— Eh bien ! Julia ?… Pourquoi ne continuez-vous pas ? demandai-je.

— Parce que… je ne peux pas dire ces choses-là… vous ne m’aimeriez plus…

— Oh ! Julia !… Je vous en prie !… continuez !… Moi, ne plus vous aimer !… c’est de la folie.

— Si !… Si !… Si !…

— Julia !… ma petite Julia !… Je vous… je t’en prie !

— Non !… Non !… Non !…

Elle avait la bouche ouverte, les lèvres frémissantes… Ses narines dilatées semblaient aspirer d’étranges parfums, et ses yeux s’emplissaient de flammes courtes et vives. Je lui pris la main, je la serrai :

— Julia ! répétai-je d’une voix profonde et grave.

Elle ne répondit pas. Mais sa main serra ma main.

— Julia ! criai-je d’une voix rauque.

Et comme sous le coup d’une brusque ivresse, tout tourna, tout chancela autour de moi. Sans que je raisonnasse mes mouvements, ma main délaissant sa main, s’égara sur sa chair en un geste violateur. Julia jeta un cri, et se défendant, et me repoussant, elle couvrit ensuite son visage de ses mains.

— Oh !… Oh !… Oh !… fit-elle.

J’étais demeuré interdit de ma hardiesse… Je détournai la tête, et mes bras retombèrent au long de mon corps, inertes. Pourtant, je balbutiai…

— Julia !… je vous ai fait de la peine…

— Oh ! oh ! oh !… fit-elle encore…

— Julia !… pardonnez-moi…

— Oh ! oh ! oh !… fit-elle toujours…

Je suppliai :

— Julia !… Julia !… Julia !… Je ne suis pas méchant !… Ne pensez plus à ça… Jamais… jamais… jamais je ne vous reparlerai de ça !… C’est fini… je vous jure que c’est fini !… Pardonnez-moi !… J’ai été fou… mais c’est fini !…

J’osai alors la regarder timidement, peureusement… Elle avait toujours son visage caché dans ses mains, sa nuque