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— Si Lucien m’avait vu ! me disais-je alors… s’il savait que je passe mes journées dans cette loge !

Et la honte me montait au visage, en ondes rouges et brûlantes.

Mais il me suffisait de redescendre, d’apercevoir Julia, à travers les rideaux de la loge, pour reconquérir tout mon enthousiasme et repartir dans le bleu des rêves.

Nos conversations — coupées de si longs silences — roulaient presque exclusivement sur les romans que j’avais donnés à Julia. Julia me racontait toutes les péripéties de ces drames que j’ignorais. Elle mettait à ces récits une passion, un décousu, une telle abjection d’esprit, une telle vulgarité de sentimentalisme que, dans toutes les autres circonstances, cela m’eût paru d’un comique souverain, et d’un irrésistible ridicule. Je ne songeais pas à rire, à ce nouvel épisode du Roman chez la Portière. Au contraire, mon émotion était, tout naturellement, celle de Julia. Nous avions les mêmes battements de cœur, les mêmes soulèvements d’admiration, les mêmes indignations, les mêmes immenses pitiés. Je me souviens d’une comtesse adultère qui nous arracha bien des larmes.

Un après-midi, Julia me narrait languissamment une scène palpitante. Il s’agissait encore d’une comtesse et de son amant. La scène était passionnée et délicate à dire, Julia prenait des circonlocutions embarrassées… Arrivée au moment définitif, elle se pencha sur sa chaise,