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pleine, et qu’elle y mettait un parfum de fraîche et jeune fleur. Chaque fois que je sortais ou que je rentrais, je pénétrais dans cette loge, où je la trouvais presque toujours seule, et je lui demandais s’il n’y avait pas de lettres pour moi, ou pour Lucien… Et, après sa réponse, je restais là, debout devant elle, sans plus rien dire, un peu étonné de mon audace et gêné de mon silence. Elle non plus ne disait rien. Elle se mettait à ranger de petits bibelots, de pauvres petits bibelots, sur une étagère, ou à épousseter, avec un plumeau, les cadres des chromolithographies qui ornaient les murs. Et je sentais mon cœur se fondre, en des délices inconnues, à voir sur la nuque ivoirine de Julia, frémir les mèches blondes.

— Eh bien, au revoir Mademoiselle Julia.

— Au revoir, Monsieur !

— Et s’il nous vient des lettres, ne les faites pas monter… je les prendrai…

— Bien, Monsieur.

— Allons, au revoir, Mademoiselle Julia.

— Au revoir, Monsieur !…

Et il me semblait que son sourire avait une ironie légère et charmante, et aussi une compréhension de tout ce que ma bouche ne disait pas, mais qui était dans la gaucherie de mes gestes, dans la timidité de mes yeux.

Un jour elle me dit :

— Oh ! Monsieur, je serais si heureuse si vous vouliez me prêter des livres.

Mon cœur battit avec violence. Cette phrase me fut comme un baiser… Je balbutiai :

— Je n’ai pas de livres… Mais j’en aurai, Mademoiselle Julia… Quels livres voulez-vous que je vous donne ?

J’avais repris un peu d’assurance.

— Je ne sais pas, moi… de beaux livres qui font pleurer ! dit-elle.

— Des livres d’amour, n’est-ce pas ?

Et de prononcer ce mot : amour, le rouge me monta à la figure.

Julia eut une expression de joie qui illumina tout son visage…