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– Mais non, je ne suis pas malade… Pourquoi serais-je malade ?… L’air est pur, là-haut… Il a passé sur les forêts, il a passé sur la plaine… Il s’est filtré, au filtre des arbres, au filtre des fleurs… Je suis tout seul… et tout seul, si impur que je sois, je ne puis pas empoisonner tout cet air… Je ne suis pas malade.

– Alors, tu t’ennuies ?… Pourquoi rester ici ?

– Où veux-tu que j’aille ?… Je n’ai pas d’argent… je n’ai juste que pour vivre… Et d’ailleurs, je ne m’ennuie pas… Ce n’est pas cela… c’est autre chose, vois-tu… Je crois que je serais très heureux, s’il n’y avait pas de ciel… Le ciel effraye tout le monde… Dès que quelqu’un vient là-haut… le vertige le prend… Rien que du ciel, rien que du vide autour de soi… Jamais la terre, jamais quelque chose de ferme et de connu où poser sa vue !… Alors il veut s’en aller… J’ai eu une petite bonne… Elle était jolie… Il y a des moments, comprends-tu, où l’homme a besoin de…

Et comme je souriais, mon ami ajouta :

– Non… non… Ça n’est pas ce que tu crois… Ah ! Dieu non !… Mais voir de la beauté autour de soi, de la beauté vivante… de la beauté terrestre !… Des yeux, une bouche, une flexion de la taille, des mains qui remuent, des cheveux qui frissonnent dans le soleil… entendre un frôlement de robe, des rires gais, des paroles douces comme des chants !… Eh bien, elle est partie, chassée par ce ciel, chassée par ces nuages… Et, depuis, aucune n’a voulu revenir… J’ai eu un chien aussi… Toute une nuit il aboya. Le lendemain, lorsque je descendis pour le voir, pour lui parler, je vis qu’il avait rompu sa chaîne, et que, lui aussi, avait fui… Croirais-tu qu’il n’y a pas un oiseau, là-haut !… Il n’y a que