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II

Malgré l’étrangeté refroidissante de cette réception, malgré l’état de fatigue où j’étais à la suite de ce long voyage et de cette pénible ascension de la côte, sous le soleil, je n’osais plus insister pour rester dans cette délicieuse retraite. Il y avait dans les yeux de mon ami une telle souffrance accablante, un tel douloureux effarement !

– Allons ! soit, dis-je… Allons à l’auberge, puisque tu le désires.

– Oui… oui !… C’est ça… s’écria X… Oui ! Si tu savais comme on est bien à l’auberge… C’est tout noir !…

Je me levai et repris ma valise.

– Allons… partons…

Je maugréais en moi-même, et me repentais d’avoir obéi à un sentiment d’absurde générosité, de m’être si facilement laissé duper par ce fantôme de la pitié, cet obstiné fantôme qui revient, aux heures d’abandon, forcer la porte des cœurs les mieux défendus contre l’amour. Et qu’allait-il m’arriver, avec ce fou ? Ce mot « auberge » remuait en moi des images de crime. Non, vraiment, je n’étais pas rassuré. Il me semblait que je venais de tomber stupidement dans un guet-apens. Au fait, depuis quinze ans, je ne savais rien de X… Ses lettres ?… Mais que d’hypocrisies, que de mensonge dans les lettres !… Je regardai X…, tentant de pénétrer en