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— Mon père et ma mère sont morts !… Mon père et ma mère sont morts !…

Mais le mot de mort n’amenait plus de visages vivants, de figures inquiètes aux fenêtres des maisons, et sur le pas des portes. Des morts, il y en avait dans toutes les maisons. Et les gens épargnés se sauvaient des morts, se sauvaient de ceux qui avaient vu des morts, qui avaient respiré des morts. Ce mot de : mort, volait dans le silence et ne le réveillait plus ; il se cognait aux fenêtres closes, aux seuils fermés, comme sur les planches d’une bière, la désolation d’un orphelin. Et les cercueils passaient, sans cesse, dans les rues, sans prières, devant, sans cortèges, derrière. De grands feux brûlaient sur les places et dans les cours.

Je rentrai enfin à la maison…

Un prêtre était là, qui priait près des morts, dans la chambre funèbre… Je ne le connaissais pas… je ne savais pas d’où il venait… Et il me sembla que c’était Dieu lui-même, qui était venu du ciel, tant sa figure était belle. En mon absence, il avait nettoyé les lits, paré les cadavres, remis de l’ordre partout. Il me dit d’une voix très douce :

— Mon pauvre enfant ! Il ne faut pas perdre courage… Vous avez besoin de tout votre courage… je reviendrai, ce soir, puisque vous êtes si seul… et je passerai la nuit, avec vous, près d’eux…

Mais, qui donc pouvait alors, le matin, se vanter de revenir le soir, quelque part ? J’appris, le lendemain, que l’admirable prêtre, le soir où il devait revenir, près de moi, avait été fauché par le fléau.

Oh ! que Dieu existe ! que par-delà la