Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/49

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ger ou être mangé… Moi, j’aime mieux manger… Et c’est si amusant !… Les mouches sont si confiantes, si bêtes… on leur dresse des petites embûches… un rien… quelques fils, dans le soleil, entre deux feuilles, entre deux fleurs… Les mouches aiment le soleil, elles aiment la lumière, les fleurs, ce sont des poètes… Elles viennent s’embarrasser les ailes, dans les fils tendus près de la fleur, dans le soleil… Et tu les prends, et tu les manges… C’est très bon, les mouches !… Oh ! que tu es bête, va !… Ta lampe s’éteint… Bonsoir ! »

Et l’araignée remonte au plafond, et disparaît derrière une poutre, dans l’ombre.

Le chien aboie toujours, là-bas !… Un autre chien, plus loin, lui répond. Je me sens envahi par le froid de la mort.

Je vais à la fenêtre. La lune s’est levée, a chassé les brumes. Entre les branchages dépouillés des arbres, le ciel s’allume, les étoiles flamboient cruellement. Et je pense :

« Et quand même j’aurais été l’araignée humaine, quand même j’aurais joui de la joie des meurtres !… Est-ce que j’aurais été heureux, plus heureux ? Est-ce que je n’aurais pas été toujours écrasé par le mystère de ce ciel, par tout cet inconnu, par tout cet infini qui pèse sur moi ? Qu’importe de vivre comme je vis ?… C’est vivre qui est l’unique douleur ! Vivre dans la jouissance, parmi les foules, ou vivre dans la solitude, au milieu de l’effroi, du silence, n’est-ce donc pas la même chose ?… Et je n’ai pas le courage de me tuer ! »

Je n’ai pas assez bu, ce soir…