Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/48

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Ah ! voici mon compagnon, mon seul compagnon ! C’est une petite araignée. Elle est descendue du plafond, sur un fil que je ne vois pas, et s’est arrêtée, à quelques centimètres du verre de la lampe, mais en dehors de son rayonnement… Et elle reste là, ses longues pattes repliées, au bout du fil qu’elle vient de faire ? Il n’y a plus de mouches, plus d’insectes. D’ailleurs elle demeure inactive, ne tisse aucune toile, ne se livre à aucune embuscade. Elle a l’air de dormir, le ventre à la chaleur de la lampe. Elle dort ou elle rêve. Par un instinct de taquinerie, je déploie la lampe, à droite. Alors l’araignée remonte le long du fil invisible, prestement comme un gymnaste, suit le plafond et redescend sur un nouveau fil, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé sa place, à la chaleur de la lampe. Elle replie ses longues pattes grêles, se balance un instant et redevient immobile. Je renouvelle plusieurs fois l’expérience, j’éloigne la lampe, à droite, à gauche, et toujours l’araignée remonte et redescend et vient se poster, avec une admirable précision, près du verre qui lui envoie une douce chaleur. Je regarde l’araignée… les minutes passent, les heures s’écoulent, je regarde la petite araignée, immobile, et il me semble qu’elle aussi me regarde avec ses huit yeux, ironiquement fixés sur moi ; et je l’entends qui me dit :

« Tu es triste, tu te désoles, et tu pleures !… C’est ta faute… Pourquoi as-tu voulu être mouche, quand il t’était si facile, d’être comme moi, une joyeuse araignée… Vois-tu, dans la vie, il faut man-