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IX

Je passe sur mes années de collège. D’ailleurs, je puis, d’un mot, caractériser l’effet moral qu’elles eurent sur moi. Elles m’abrutirent. L’éducation que je reçus là fut une aggravation de celle commencée dans ma famille. À la maison, il est bien rare que l’enfant n’ait ressenti une sorte de chaleur, d’affection, en même temps qu’une sorte de sécurité intime qui lui tiennent lieu d’idées et de notions précises de la vie. C’est, souvent, quelque chose de vague et qui, pourtant, lui est un appui. L’amour est si fort, que même inintelligent, même médiocre, il ouvre à l’âme tout un horizon de beautés morales. Au collège, rien de pareil. L’enfant est remis entre les mains indifférentes et lourdes de mercenaires, à qui rien ne le rattache, ni l’intérêt, ni la tendresse, ni la vanité. Ils arrivent, se hâtent, et s’en vont. Et puis, je ne sais quel intolérable ennui émane de cet ensemble d’absurdités, de mensonges et de ridicules diplômés qu’est un professeur. Loin de nous intéresser aux devoirs qu’il enseigne, en leur donnant de l’agrément et de la vie, le professeur vous en dégoûte, comme d’une laideur. Tout en lui prend un aspect de gravité raide et gourmée, de dogmatisme prudhommesque, qui tue la curiosité dans l’esprit de l’enfant, au lieu de la développer. Avec une sûreté merveilleuse, avec une miraculeuse précision, le professeur enduit les intelligences juvéniles d’une si épaisse couche d’ignorance, il étend sur elles une crasse de préjugés si corrosive, qu’il est à peu près impossible de s’en débarrasser jamais. Il en est, parmi ces jeunes âmes, qui se rebellent contre cette effrayante discipline de médiocrité. Je les admire, mais comme je les plains ! Que de difficultés, que de malheurs la vie ne leur réserve-t-elle pas ?