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Je fis part de cette découverte à mon père, je la lui expliquai du mieux que je pus, avec un afflux de paroles et de gestes qui ne m’était pas habituel.

— Qu’est-ce que tu me chantes-là ? s’écria mon père… mais c’est le puits artésien que tu as découvert !

Et je vois encore le sourire ironique, qui plissa son visage glabre, et dont je fus tout humilié.

— Je ne sais pas, — balbutiai-je, — je te demande…

— Mais petite bourrique ! Il y a longtemps que c’est découvert… Ah ! ah ! ah !… Je parie que demain tu découvriras la lune.

Et mon père éclata de rire. Ce rire, comme il me fit mal !

Ma mère survint.

— Tu ne sais pas ?… Nous avons un grand homme pour fils… Le petit vient de découvrir les puits artésiens.

— Oh ! l’imbécile ! dit ma mère !… Il ferait bien mieux d’apprendre son histoire sainte.

Ce fut au tour de mes sœurs qui accoururent, avec leurs visages pointus et curieux.

— Saluez votre frère… Il vient de découvrir les puits artésiens.

— Il ne sait quoi inventer pour être ridicule, glapirent-elles, en me tirant la langue…

Puis enfin, les voisins, les amis, tout le pays, surent bientôt que j’avais découvert un moyen de creuser les puits, comme on enfonce une cuiller dans un pot à beurre. Et ce fut autour de ma pauvre petite personne humiliée un éclat de rire, les moqueries universelles. Je sentis le mépris de toute une ville peser sur moi. Et je faillis mourir de honte.

Il fut décidé qu’on me mettrait au collège pour m’apprendre à vivre.