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au prône. Et l’on se prépara, aussitôt, à célébrer par d’inoubliables fêtes la translation des reliques si longtemps convoitées.

Dans le pays vivait un singulier personnage, nommé M. Sosthènes Martinot. Je le vois encore, gros, dodu, avec des gestes onctueux, des lèvres fourbes qui distillaient l’huile grasse des sourires, et un crâne aplati, glabre et rouge ainsi qu’une tomate trop mûre. Sa voix avait des marmottements sourds de prêtre qui officie.

Ancien notaire, M. Martinot fut condamné à six ans de réclusion, pour vols, abus de confiance, escroqueries, faux. Sa peine terminée, et rentré dans sa maison, il reconquit vite l’estime de tout le monde par une piété sagace. À son retour dans la vie sociale, personne ne lui marqua de froideur ni de mépris. Les familles les plus honorables le reçurent, comme un vieil ami qui revient d’un long voyage. Lui-même parlait de son absence, avec des airs calmes et lointains. On le considérait beaucoup.

Et quels talents !

Aucun ne savait mieux que lui organiser une fête religieuse, mettre en scène une procession, décorer un reposoir. Il était l’âme de toutes les fêtes, ayant beaucoup d’imagination et de poésie, et les cantiques qu’il composait spécialement pour les cérémonies liturgiques, devenaient rapidement populaires. On les chantait, non seulement à l’église, mais encore, dans les familles, le soir, autour des tables de veillées, en mangeant des châtaignes arrosées de cidre doux. M. Sosthènes Martinot fut naturellement chargé d’exécuter le plan de la fête, en l’honneur de saint Latuin. J’ose dire que ce fut admirable.