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Ran plan plan ! Ran plan plan !

— Oui, mais voilà !… le tambour, c’est bien plus beau encore, en campagne, au milieu des balles et des boulets… Il ne faut pas avoir froid aux mains… Aussi, une nuit à Sébastopol, dans une tranchée…

Ran, plan plan !… Ran plan plan !

Mon père avait eu raison. On ne sait pas où le tambour peut vous mener. Ses baguettes ont quelquefois la magie des baguettes de fées. J’en éprouvai bien vite l’étrange puissance.

Au bout de quatre mois, j’étais devenu l’orgueil de ma famille. Mes sœurs et ma tante ne me pinçaient plus et ne m’appelaient plus « idiot ! » Il y avait dans leurs regards comme de l’admiration, comme du respect pour moi. Mon père me traitait avec déférence. S’il venait quelqu’un à la maison, on parlait de mes talents sur le tambour, avec enthousiasme.

— Allons, petit, joue-nous un peu de tambour.

Et dans les regards échangés, je lisais nettement ce dialogue :

— Vous êtes bien heureux d’avoir un enfant qui vous donne tant de satisfaction.

— Oui, c’est vrai… Je suis payé de mes peines.

Dans le pays même, où je passais pour un indécrottable cancre, j’étais considéré maintenant comme une gloire naissante. Je flattais l’amour-propre de mes concitoyens. Ils disaient de moi, en me désignant aux étrangers :

— C’est le petit jeune homme qui joue si bien du tambour.

Et mon père, fier de tous ces hommages, répétait :

— Tu vois !… quand je le disais !… Il faut toujours écouter ses parents…

Le jour approchait où j’allais être investi, grâce à ce magique tambour, du seul grand honneur qui ait, un moment, illustré ma vie…