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— Il n’est pas fou, peut-être ?

— C’est vous qui êtes une sotte… Allez-vous-en.

— Eh bien ! moi, je vous dis qu’il est fou !… Hier, maman en faisant son atelier a regardé un grand tableau qu’il fabrique !… Eh bien ! maman a dit que M. Lucien était fou. Il ne sait plus ce qu’il peint… Maman a dit aussi qu’on allait faire partir son paon… parce qu’il gêne les locataires, à crier tout le temps, cette sale bête… Alors un homme qui a un paon, chez lui, vous croyez qu’il n’est pas fou…

— Taisez-vous !

— C’est vrai aussi !…

Mais elle ne se taisait pas.

— C’est vrai aussi… Quand M. Lucien n’était pas là, vous étiez gentil avec moi… Depuis qu’il est revenu, vous ne me regardez seulement plus… D’abord, lui, on le sait, il n’aime pas les femmes !…

J’avais toutes les peines du monde à me débarrasser de Julia et de ses bavardages. Et quand elle était partie, je reprenais mon immobile faction… Et, dans ce noir, où j’étais, sans bouger, retenant même, en quelque sorte, mon souffle, j’avais l’air de veiller sur un mort.

Un jour, Lucien, effaré, sa palette à la main, Lucien tout barbouillé de peinture, sortit brusquement, et fouillant l’ombre, devant lui :

— Ah ! ça ! Ne vont-ils pas bientôt me fiche la paix !

Je n’eus pas le temps de fuir vers le couloir et Lucien me vit, debout, contre le mur…

— Comment, c’est toi, bougre d’animal ? Et que fais-tu ici ?… Pourquoi es-tu ici ?

— Je rentrais chez moi, Lucien…

— Je te défends de m’espionner, en-