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— Mais que veux-tu faire de ce paon ? demandai-je à Lucien.

— Ce que je veux faire ?… Comment, je ne t’ai pas dit ?… Il y a longtemps que je rêve ça, pourtant… Eh bien ! voilà !… J’ai conçu une grande décoration… Des paons… dans un champ de pensées… Non, mais, vois-tu le motif ! Des paons accroupis dans les pensées, des paons marchant dans les pensées… Et peut-être, limitant le champ des pensées, dans le haut de la toile, des pavots… non pas de pavots !… Je ferai une autre décoration… Des paons se glissant dans des pavots !…

Et des gestes qui dessinaient, dans l’air, de longues queues de paon, des tiges de plantes, orchestraient ses paroles ; et tout son visage souriait de bonheur…

— Je crois ! dit-il, que je tiens enfin, quelque chose d’épatant !… Et tu sais… pas de synthèse là-dedans !… pas d’atmosphère… non plus… Les paons dessinés plume par plume, et exagérés… exagérés ! Tiens !

Et il traçait, avec son doigt, des lignes énormes.

— Allons ! plus de blagues !… plus de bêtises !… Ça, je le sens !… Ça, je le tiens ! Et demain, au travail ! Mais regarde-le… Pose-t-il, cet animal !

— Alors nous ne partons plus ? demandai-je à Lucien.

Mon ami me regarda d’un air vague.

— Partir ! Et pourquoi partir ? Et où partir ?

— Mais sur notre pic !… là-bas !…

Lucien réfléchit une seconde.

— Sur le pic !… ah ! oui !… Mais tu es fou, je pense…

Et il tira de sa poche un paquet de graines de maïs, qu’il lança une à une, auprès du paon, sur la tablette de la cheminée.

— Mange, mon petit, mange, mon coco ! Petit, petit, petit !