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Mais elle soupirait, en hochant la tête, tandis que sa main étreignait ma main dans un serrement tout moite qui m’était insupportable !

— Vous dites cela !… Vous dites cela !…

— Je t’assure que je ne serai pas longtemps, là-bas !… Nous reviendrons bientôt…

— Non ! non ! Vous ne reviendrez pas… parce que M. Lucien est fou !… Il est fou !… Tout le monde le sait qu’il est fou… Et il vous rendra fou aussi !… Et vous ne reviendrez pas…

Je ne savais plus que dire.

— Je vous laisserai des livres, Julia, de beaux livres… Et puis je vous écrirai des lettres… de belles lettres… Et puis vous me répondrez de belles lettres aussi !… Et puis nous nous reverrons bientôt…

Elle s’accrocha à moi, davantage ; sa main, en forme de griffe, se crispait sur mon bras, remontait à mon épaule, se nouait à mon cou ; sa bouche pâle, qui dévoilait ses dents tartreuses, s’ouvrait comme pour le baiser ; et ses yeux allaient, de mes yeux à la petite pièce où, sur le fourneau, bouillait l’éternel miroton. Je cherchais un moyen d’échapper à l’étreinte ; je détournais un peu la tête pour éviter le souffle chaud, le souffle fade, le souffle de malade que sa bouche m’envoyait.

— Ne partez pas… suppliait-elle… je vous en prie… Je t’en prie… ne pars pas encore… Sois gentil, mon mignon, mon gros mignon… Ne me laisse plus toute seule… Ne crois pas à ce que te dit Monsieur Lucien… Je t’en prie…

Le miroton chantait : au-dessus de la