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XXV

Tous ces menus incidents qui révolutionnaient ma vie, m’éloignaient de Julia. Je ne la voyais presque plus ; je ne la voyais plus guère qu’entre les rideaux de la loge, où son triste visage m’apparaissait, comme une petite plante jaunissant dans l’ombre. Elle s’étiolait de plus en plus ; ses cheveux prenaient les tons ternes qu’ont les poils des bêtes malades ; ses yeux clignaient, cerclés de rouge, comme ceux d’une poule anémique. Elle m’émouvait vraiment, mais cette émotion ne pouvait vaincre le dégoût, le pitoyable et douloureux dégoût d’elle, que j’avais éprouvé, à la suite de l’acte physique où avait sombré mon amour, toute la poésie de mon amour. Au pot de cinéraire avait succédé un pot de giroflée. C’était le seul événement qui eût varié un peu la monotonie de ce mélancolique réduit. Et la fleur et la femme étaient tellement fanées, toutes les deux, elles se ressemblaient par des destinées si pareilles que j’en arrivais à les confondre dans la même pauvreté végétale ; et, quand je passais et que j’apercevais, dans la loge, ces deux pâleurs inclinées, je ne savais plus en vérité qui était la fleur et qui était la femme.

Une fois, je fus forcé d’entrer dans la loge, alors que Julia y était seule. Elle me jeta un regard si implorant, un si navrant et si implorant regard, que je me sentis touché jusqu’au fond de l’âme. Et je me reprochai toute la cruauté de ma conduite, envers cette pauvre fille que j’avais séduite et que lâchement j’abandonnais. Je crois bien que, dans ce mouvement de