Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/116

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par un tas de perversions de formes qui ne donnent de l’illusion qu’aux imbéciles !… Et, comme je ne peux pas mettre un bonhomme debout sur ses jambes, je le mets debout sur sa tête. On dit : « C’est épatant ! » Eh bien, non ! je suis un cochon ! voilà tout !… Va donc voir si les Terburgh, les Metzu, les Rembrandt ont cherché à peindre l’aboi d’un chien, par exemple !… Ils ont peint des hommes et des femmes tout bêtement ! Et ça y est… Et le père Corot ?… Est-ce qu’il a voulu peindre des arbres la racine en l’air ? et des sarabandes d’astres en ribote ? Non ! Et ça y est ! Ah ! qu’ils m’ont fait du mal ces esthètes de malheur, quand ils prêchaient, de leur voix fleurie, l’horreur de la nature, l’inutilité du dessin, l’outrance des couleurs, le retour de l’art aux formes embryonnaires, à la vie larveuse !… Car ça n’est pas autre chose que leur idéal dont ils ont empoisonné toute une génération ? Ah ! leurs princesses avec des corps en échalas et des visages pareils à des fleurs vénéneuses, qui passent sur des escaliers de nuage, sur des terrasses de lunes malades, en robes semblables à des queues de paon, ou à des plumeaux !… Ah ! leurs saintes émaciées et longues comme des gaules à pêche, leurs galantes qui marchent sans jambes, qui regardent sans yeux, qui parlent sans bouche, qui aiment sans sexe, et qui, sous des feuillages découpés à la mécanique, caressent des mains plates ainsi que des palmes et cassées au poignet par la même éternelle inflexion ! Et leurs héros, qui puent la pédérastie… la nécrose… la syphilis !… Le verdissement de ces chairs ; et la puanteur de ces fleurs qu’on dirait trempées dans l’eau menstruelle des bidets ! Pouah !… Je n’ai jamais cru à cet art pauvre, à cette