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XXIII

En sortant du lieu de plaisir, où nous avions été pour rigoler, Lucien, honteux, me dit :

— Sommes-nous bêtes, tout de même !… Et qu’est-ce que nous avons été fiche là ?… Je te le demande… Tantôt, j’étais gai, heureux d’être revenu, de te revoir… je ne sais pas, d’être ailleurs… Et voilà que maintenant je suis plus triste qu’un mort !… Sans compter que demain, je ne pourrai pas travailler, que j’aurai encore le cerveau tout encrassé de cette ordure !… C’est ça le plaisir !…

Il cracha sur le sol, et reprit :

— Dire qu’il y a des gens qui ne pensent qu’à ça, qui ne font que ça !… Des gens pour qui, toute la vie, c’est cette minute de félicité trompeuse et ridicule !… Des poètes qui prennent cette croupe fétide pour l’étoile magique !… Dire qu’on ne travaille, qu’on ne vole, qu’on ne tue, que pour ça !… Sais-tu pourquoi je n’ai jamais eu d’ami, d’autre ami que toi ?… C’est parce que tous les jeunes gens que j’aurais pu aimer m’accablaient du récit de leurs prouesses érotiques !… Mais, nom d’un chien ! il y a autre chose, pourtant, que de vautrer sa chair sur la chair d’une femelle impure et pâmée !…

Et il semblait prendre à témoin la nuit, le ciel scintillant, le mystère des ombres dans l’intervalle des clartés qui frissonnaient, qui battaient sur les maisons comme de minces écharpes soulevées par