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chant ?… Et pourquoi êtes-vous si beau, aujourd’hui, car vous êtes plus beau qu’à l’ordinaire…

Je m’assis, près d’elle, sur une chaise basse, dans un coin sombre, et toute ma raideur, toute ma dignité s’évanouirent et je soupirai en pressant la main de mon amie, le cœur plein de repentir et de tendre pitié.

— Ah ! Julia !… Julia !…

J’accentuai la caresse et promenai nos deux mains unies, sur elle et sur moi. Julia ne se défendit pas. Elle dit seulement :

— Soyez sage… Il faut être sage… Sans quoi, je penserais que vous ne m’aimez pas…

À une caresse plus audacieuse et plus précise, elle répondit :

— Non ! non ! pas ça… ne me demandez pas ça…

Et d’une voix plus basse, tandis que sa chair commençait à frémir.

— Songez-donc… Si on venait… Et puis, vous, un homme, ça n’a pas d’importance !… Mais moi ! voyez donc… s’il m’arrivait un malheur !… Qu’est-ce que je deviendrais ?… Soyez sage, je vous en prie… Je ne veux pas…

Tout en protestant, elle s’offrait aux plus délicates investigations sur sa personne, même elle mêla ses caresses aux miennes, des caresses plus expertes que les miennes. Et tout à coup sa tête roula sur ma poitrine.

— Tu m’affoles… tu m’affoles ! dit-elle.

Il y avait de l’enthousiasme dans ses yeux, dans ses lèvres, dans le ton de sa voix haletante que l’approche de la volupté rendait plus rauque, et en quelque sorte déchirée par des sonorités sourdes de bête. Puis elle revint bientôt à des vagissements, de petits vagissements plaintifs d’enfant ; et, à plusieurs reprises, la chair détendue, la tête molle, elle balbutia :

— Maman !… Maman !…

Je goûtai un bonheur incomplet, qui me laissa tout triste et un peu hébété.

Quant à Julia, rougissante, la tête cachée dans ses mains, elle pleura longtemps, ne cessant de répéter :

— C’est mal… c’est mal !… Et maintenant vous n’allez plus m’aimer… et maintenant, je vais être toute seule…

Je ne sus pas trouver, pour la rassurer, un seul mot de tendresse. Il me semblait que j’eusse perdu l’usage de la parole ; il me semblait aussi que tout venait de mourir en moi, dans ce geste désillusionnant de l’amour.