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Elle soupira :

— Ah ! comme vous avez l’air méchant, aujourd’hui !

Très digne, je répliquai :

— Je ne suis pas méchant, Mademoiselle, je suis pressé.

— Alors, vous n’entrez pas une toute petite minute ?

Et elle s’effaça pour me laisser passer.

— Non, vraiment, Mademoiselle, je n’entre pas… Je suis très pressé.

Mais, en disant : « Non, je n’entre pas ! » j’avais poussé plus encore la porte, et j’étais entré dans la loge.

Julia minauda :

— Ah ! c’est gentil… J’avais peur que vous ne fussiez fâché.

— Et pourquoi serais-je fâché ?… Je ne suis pas fâché… Je suis pressé… C’est une autre affaire, il me semble.

— Eh bien, asseyez-vous une toute petite minute !

Elle eut, en me disant cela, un petit rire, qui découvrit ses dents un peu gâtées, çà et là enduites de tartre noirâtre.

Comme toujours, la cuisine était ouverte. Sur le fourneau, chantait le miroton familial ; l’assiette au chat saignait sur la planche. Une odeur d’oignon circulait dans l’air ; et dans le fond de la pièce, le lit reposait, magistralement paré de la courtepointe en fausse guipure qui moulait le traversin de son transparent rose, et rebondissait sur l’édredon en damier ajouré et ventru.

Julia dit :

— Ah ! pourquoi êtes-vous si mé-