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pauvre vieille était bien morte, bien morte, bien morte !

Or, je veux vous avouer l’étrange sensation que j’éprouvai à la suite de cette constatation… Ce fut presque de la joie… Non, pas de la joie tout à fait… mais quelque chose de doux comme un allégement, comme une délivrance. J’avais la poitrine libre, les membres plus légers, le cerveau tranquille… Je ne ressentais plus de terreur et, en vérité, j’étais presque content que la vieille fût morte !… Morte, je n’avais plus rien à faire qu’à me dire qu’elle était bien morte ; vivante, c’était toute une complication : il m’eût fallu tenter de la rappeler complètement à la vie… Et je comprenais mon impuissance devant cette responsabilité.

— Ma foi ! me dis-je avec une philosophie admirable, mieux vaut pour elle et pour moi qu’elle soit morte !… Et nous en avons tous les deux, elle et moi, le cœur net !…

À la lueur très faible de la bougie, je remarquai dans la chambre des traces de violence et de lutte : les draps du lit arrachés, deux chaises tombées, les tiroirs d’une commode vidés, un globe de verre brisé et dont les morceaux brillaient, çà et là, parmi des choses déchiquetées et jonchant le carrelage du plancher. Je n’attachai pas, d’abord, à ce désordre des objets une idée autre que celle du désordre lui-même…