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prendre garde aux recommandations de cet étrange professeur, je quittai la table et j’allai vers la fenêtre… Le jour s’était éclairci… De grands nuages bas glissaient, dans le ciel, au-dessus des maisons… Dans la rue, des gens passaient, des gens causaient… Et, sans savoir pourquoi, j’étais triste, triste à mourir…

Je ne veux pas faire un récit détaillé des rapports trop familiers de ma mère avec M. Narcisse. Il serait trop mélancolique pour moi et, peut-être même, gênant pour ceux qui liront ces lignes. On n’aime pas qu’un fils descende trop profondément dans les intimités de ses parents.

La scène que j’ai contée avec beaucoup de réserve, on en conviendra, se reproduisit exactement pareille, durant toute une année, trois fois par semaine. Et je finis par comprendre quel était le véritable caractère des visites de M. Narcisse. Faut-il l’avouer ?… Je n’en souffris pas trop, et même je n’en souffris pas du tout, car je leur dus une tranquillité relative. En somme, ce fut une trêve dans ma vie. Non seulement je n’eus plus à subir les tracasseries journalières et les incessants reproches de ma mère, mais encore je remarquai qu’elle gagnait en beauté physique, comme elle avait gagné en beauté morale. Ses yeux s’étaient adoucis, sa peau, un peu cendreuse, s’était éclairée et colorée, sa démarche, ses gestes, avaient pris, peu à peu, de la souplesse et de la langueur… Elle se montrait plus