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avait toujours été pour moi d’une inexistence si totale que, bien des fois, en évoquant sa mort possible, je n’avais éprouvé aucune émotion, de quelque nature que ce fût… Peu m’importait, véritablement, qu’elle fût morte ou vivante, car il me semblait qu’elle était morte depuis des siècles !

Et voilà que, dès qu’elle eut exhalé son dernier souffle, je me sentis pris d’un grand chagrin et d’un grand remords, chagrin de l’avoir perdue, remords de ne l’avoir pas aimée ! Est-ce une chose mystérieuse et stupide que la mort !… Pourquoi l’aurais-je aimée ?… Et pourquoi l’aimais-je, maintenant ?… Son visage immobile et qui était devenu tout petit en se refroidissant, ses yeux fermés, ses mains maigres allongées sur le drap, toute cette chose si insupportablement funèbre, si inexplicablement douloureuse qu’est un cadavre, même un cadavre de chien ou de rat, oui, tout cela qui allait bientôt se diluer, tout cela fit que j’eus le cœur serré, comme si je venais de perdre quelqu’un de très cher et de très beau… Sans savoir pourquoi, sans chercher à raisonner cette impression soudaine, rien que parce qu’elle n’était plus, parce qu’elle ne remuait plus, je découvris, en elle, d’émouvantes vertus et des beautés prodigieuses… Et je pleurai sur elle, je pleurai abondamment… Et, en pleurant sur elle, je pleurai sur moi, qui ne la verrais plus, je pleurai sur ma femme et sur